Préserver la santé au travail avec le Professeur Michel Lejoyeux
Professeur de psychiatrie et d’addictologie, Chef des services de ces deux disciplines au sein des hôpitaux Bichat et Beaujon, Michel Lejoyeux a également publié plus de 25 ouvrages.Parmi eux : “En bonne santé avec Montaigne” , “Les 4 saisons de la bonne humeur” ou encore “l’aventure de la bonne humeur”.
La préservation de la santé au travail est, pour lui, l’un des enjeux majeurs de la fonction RH d’aujourd’hui et de demain. Le professeur Lejoyeux nous livre aujourd’hui sa vision des tendances RH de l’année 2025 et ses conseils sur ce sujet si riche de la santé mentale.
Cher Professeur, bonjour ! On est très heureuses chez Enoa de vous mettre en lumière aujourd’hui. 🙂
Pouvez- vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours?
Mon parcours est celui d’un universitaire classique, impliqué à Paris Cité dans la recherche, l’enseignement et la coordination des soins.
En plus de ce parcours « classique », je me sens particulièrement concerné par la communication au plus grand nombre des notions d’émotions, de santé mentale et de maladie psychiatrique.
Je le fais par des livres grand public et des interventions régulières en entreprise
La préservation de la santé au travail est, pour vous, l’un des enjeux majeurs de la fonction RH. Nous avions d’ailleurs adoré votre conférence au HR tech en Janvier dernier.
Pouvez-vous nous rappeler les 4 lettres à toujours garder en tête et qui sont révélatrices d’un symptôme d’altération de la santé mentale ?
Je présente et explique ces quatre E dans mon dernier livre « L’Aventure de la Bonne humeur ».
Ils représentent les indices qui font la différence entre de la morosité, de la tristesse banale et une situation pour laquelle un avis médical doit être demandé (médecin du travail ou médecin traitant du salarié).
On peut aussi les utiliser pour soi-même pour faire le point ou la différence entre des moments de saturation normaux et des cas où il est légitime de se poser et de se poser quelques questions.
Le premier E est celui de l’envie. Tant que l’on a des envies, même envie de ce que l’on n’a pas, c’est que l’on a des ressources. On s’inquiète quand l’envie disparaît. Les plus légères des envies sont souvent les plus fragiles, ce peut être la gourmandise, la libido, l’envie de sortir avec des amis, de partir en vacances. Pour un DRH, des salariés qui ont des envies, même s’ils revendiquent ou « grognent » sont moins inquiétants que ceux qui ne demandent plus rien.
Le deuxième E est celui de l’énergie. Un indice médical est la perte d’énergie arrivant même quand on n’a pas fait d’effort, même le matin, en début de semaine ou après des vacances. La perte d’énergie chez celles et ceux qui en font trop ou après un temps de grande pression est seulement une réaction normale de l’organisme. Les salariés les plus inquiétants sont ceux qui continuent à travailler mais en disant que tout leur coûte ou leur pèse.
Le troisième E est celui de l’estime de soi. Tant que l’on se trouve insuffisamment reconnu, valorisé, c’est que l’on s’estime. Le jour où l’on commence à se faire des reproches et à trouver que l’on ne mérite pas l’attention des autres, son poste, sa réussite, il faut s’alarmer.
Le dernier E rappelle l’émotion négative en permanence. Il est normal de traverser des temps de tristesse. L’émotion bouge, fluctue. Il n’est pas normal d’être triste en permanence et de voir son état d’âme se fixer sur un mode négatif.
Quels sont vos conseils pour aider les RH à repérer les signes avant-coureurs d’une pathologie mentale chez un collaborateur/trice? Et quelles sont les clés pour préserver la santé au travail ?
Les signes avant-coureurs sont ceux que nous venons de passer en revue.
Quelques autres indices sont une prise ou une perte de poids ou l’apparition de troubles du sommeil.
Enfin, le refuge dans l’alcool ou les stimulants est aussi un signe d’alerte.
Les clés pour la santé mentale comme tous les autres domaines de la santé en passent par un repérage des personnes à risque avec les quatre E et quelques actions de prévention agissant sur les conditions de vie et de travail.
Je les détaille dans « L’Aventure de la Bonne Humeur ».
Si je devais en citer deux ce serait le mouvement, l’activité physique (au moins trois fois une demie heure par semaine) et un temps de pleine conscience dans la journée, devant un thé ou une musique.
Accéder à l’état de pleine conscience est une question d’entraînement.
Vous pouvez appliquer des méthodes simples pour y arriver!
Nous traversons actuellement une période instable et un contexte de crise économique, politique, international. Ce contexte anxiogène est ressenti en entreprise et les RH sont confrontés à des collaborateurs/trices de plus en plus déboussolés et souvent malheureux/euses, en perte de repère.
Quels sont vos conseils que vous donneriez aux RH dans ce contexte de crise ? Comment gérer …. l’inattendu et le manque de visibilité?
On a toujours tendance à considérer la crise que l’on vit comme exceptionnelle.
Je ne suis pas sûr que ce qu’ont subi nos parents ou grands-parents était plus simple.
Je ne suis pas sûr que les entrepreneurs français soient plus exposés par exemple que les ukrainiens ou les israéliens, pour prendre deux exemples dans l’actualité récente.
L’héroïne de mon livre trouve chez le philosophe Alain des raisons de relativiser ce qui lui arrive.
Alain a proposé deux phrases définitives. « Le pessimisme est de nature ».
Pour le dire autrement, tout nous pousse à être pessimiste.
« Mais l’optimisme est de combat ».
Les RH est celui/celle qui mène au quotidien, en toutes circonstances, des petits combats d’optimisme.
Autre phrase d’Alain: « Il faut regarder au loin ».
Beaucoup de nos problèmes en apparence insolubles viennent de ce que l’on se fixe sur des difficultés que l’on regarde de trop près et sur lesquelles on se bloque.
Quelles sont selon vous les tendances RH de l’année 2025 ?
Certainement un retour au réel et à la modestie sans la recherche de l’épanouissement et du bonheur permanent et maximal.
Mais aussi une reconnaissance de celles et ceux qui vont le plus mal et des stratégies de prévention intégrées à la culture d’entreprise.
Je crois aussi au retour aux modèles médicaux et classiques et moins aux constructions psychologiques qui seraient spécifiques au monde du travail.
Enfin, l’humain, la relation humaine retrouve son caractère incontournable en parallèle du développement des aides et méthodes en ligne et de l’intelligence artificielle.
Parlez-nous des conférences et ateliers que vous organisez en entreprise. A qui sont-ils destinés ? quel est le format proposé ?
Elles proposent, en collectif ou en individuel, des conseils, orientations ou formations pour connaître les signes d’alerte de la santé mentale.
Elles portent aussi sur les modèles psychologiques que je crois incontournables en entreprise comme ailleurs : le modèle des émotions, le modèle des croyances et des comportements et celui de la motivation.
L’objectif est que le collaborateur/trice RH, ou tout autre salarié de l’entreprise, ait à sa portée les outils pour connaître sa santé mentale, la protéger en situation de crise et adopter des stratégies de protection ou de prévention.
Le format précis, entre séances de groupe et individuelles d’une heure, dépend des attentes de l’entreprise et du salarié.
Dans tous les cas, le présentiel me paraît plus pertinent que les webinaires mais ceux-ci peuvent représenter une première action de sensibilisation.
Si des demandes spécifiques émergent, des praticiens en psychologie (hypnose, EMDR, pleine conscience) ou en médecine spécialisés sont associés aux formations ou orientations.
Les questions sur ces interventions peuvent être posées par mail michel.lejoyeux@aphp.fr
Parlez-nous de votre dernier ouvrage “L’aventure de la bonne humeur” ! Quelle était votre idée de départ ?
Une idée qui, et j’en suis ravi, a plu au lecteur !
Ne pas accumuler des recommandations, conseils et interdictions mais proposer un vrai roman, une balade dans Paris par lequel on s’instruit.
Le lecteur suit une pianiste à la recherche de sa bonne humeur et de son inspiration. Il fait avec elles des rencontres que j’espère surprenantes et éclairantes.
Ce livre est aussi une manière de parcourir les dernières recherches sur la biologie des émotions et ce que l’on peut en tirer pour soi, mais aussi les conseils des philosophes classiques (de Platon à Spinoza) ou encore les mots que la médecine utilise pour décrire et définir les émotions.
Le mot de la fin ? Un conseil pour les candidats, mais aussi les entreprises qui nous lisent ?
L’aventure de la bonne humeur est conçue comme un livre dont vous êtes le héros.
On peut sauter des chapitres et s’appesantir sur d’autres.
L’objectif est de personnaliser sa bonne humeur, son approche de la santé et du bien être.
N’adoptez pas des méthodes générales mais adaptez à votre vie, vos valeurs, vos inclinaisons les résultats de ce que la médecine ou la science peut vous proposer !
Merci encore pour votre temps, professeur.
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