Comment la Fresque du Sexisme réinvente la prévention en entreprise avec Quitterie Chadefaux

Aujourd’hui, Enoa décortique un sujet encore trop tabou qui devrait être sur toutes les tables de comité de direction : la prévention des violences en entreprise.

🚫Harcèlement, micro-agressions, sexisme ordinaire… autant de réalités qui minent le climat de travail et freinent l’épanouissement des salariés. Mais good news 💡 il existe bien des leviers concrets pour agir !

Heureuses d’avoir le plaisir d’échanger avec Quitterie, experte en diversité et inclusion 🌿 ex Directrice conseil en agence de pub de luxe. Avec son regard affûté 🔬 et son expérience du terrain, elle nous explique pourquoi la « Fresque du Sexisme » est bien plus qu’un atelier mais un déclencheur de prises de conscience et un accélérateur de changement.

Bonjour Quitterie, merci de prendre le temps de répondre à nos questions 🤓


Peux-tu nous raconter ton parcours et ce qui t’a amenée à te spécialiser dans la diversité et l’inclusion ?

Après 15 ans en Agence de Publicité, j’ai choisi de faire de la DEI (Diversité, équité et inclusion)  le cœur de mon engagement professionnel en tant que consultante. 

Je suis aujourd’hui conférencière TedX, formatrice et ingénieure pédagogique sur les sujets de diversité, inclusion et prévention des violences. Je suis également l’autrice & animatrice du podcast La Chose Étrange, un podcast d’Éducation à la vie relationnelle, émotionnelle et sexuelle par et pour les ados et jeunes adultes.

Je tiens vraiment à cibler toutes les strates de la société : que ce soit un public adulte, étudiant ou scolaire. Je crois évidemment que chacun à un rôle à jouer, c’est une vraie tectonique des plaques, et j’aime adapter mes accompagnements en fonction du public visé. Outre les publics, les sujets de diversité sont tous intrinsèquement liés par leurs mécaniques communes et donc les leviers pour les enrayer : racisme, lgbtphobie, égalité pro, prévention des violences, handicap… Il y a 26 critères de discriminations selon le défenseur des droits, la tâche est évidemment immense quand on décide de s’atteler à ses sujets, mais c’est passionnant !

Selon toi, pourquoi la prévention des violences en entreprise est-elle encore un sujet tabou dans certaines organisations ?

La prévention des violences en entreprise reste tabou car elle impose de parler de sujets que la société a pris grand soin de  ranger dans la case de l’intime (alors même que les violences sont partout notamment au travail) et qu’elle touche à des sujets sensibles : nos valeurs, nos vécus, notre éducation affective, relationnelle et sexuelle, les pouvoirs de domination que certaines cultures d’entreprises entretiennent malgré elles. 

Ce sont des sujets complexes et certaines entreprises peuvent avoir peur de stigmatiser, de mal faire, de créer des tensions au lieu de les apaiser ou même d’être perçues comme « trop engagées » dans des périodes politiquement et socialement houleuses. 

Pourtant, c’est précisément en abordant ces sujets de manière ouverte et sécurisée que l’on peut mettre en place des solutions concrètes et éviter que les comportements inappropriés persistent. Ne pas aborder ces sujets, c’est risquer de laisser perdurer des situations de mal-être, d’inefficacité et des conflits non résolus qui, si l’on met le côté QVT de côté, à l’évidence, ne favorisent aucunement la performance d’une entreprise. Cela ne devrait en rien être perçu comme quelque chose de militant mais une simple nécessité pour le sain fonctionnement d’une organisation.

Pourquoi est-il important voir urgent d’avancer sur ce sujet ? Qu’est-ce que les entreprises ont à perdre en ne le faisant pas ?

Il est impératif d’avancer sur ces sujets car l’enjeu de la prévention des violences et de l’égalité concerne directement la performance de l’entreprise. Une entreprise qui néglige la prévention des violences risque non seulement des impacts négatifs sur la santé et le bien-être de ses salarié·es, mais aussi sur sa productivité, son image et sa capacité à attirer ou retenir les talents. 

De plus, les entreprises qui n’embrassent pas ces enjeux risquent d’être perçues comme obsolètes ou en décalage avec les attentes sociales des nouvelles générations de travailleurs et travailleuses. Une récente enquête « Diversité et Inclusion en entreprise » BVA People Consulting et AFL Diversity (avril 2024) soulève que 60% des moins de 35 ans déclarent être prêts à démissionner s’ils constatent des discriminations du fait des différences de chacun.

Le coût humain et économique à ne pas agir est bien plus élevé que celui d’investir dans des actions concrètes de prévention et d’inclusion.


Comment définirais-tu la « Fresque du Sexisme » en quelques mots pour un DRH ou un CEO pressé ?

La Fresque du sexisme est un atelier de sensibilisation d’une durée de 3h30, sous format présentiel, accompagné par un expert D&I spécifiquement formé à son animation. 

Il permet, par l’intelligence collective, de détricoter la mécanique sexiste et se projeter dans une société égalitaire. La pédagogie est inspirée de celle de la Fresque du Climat : active, scientifique, collaborative et créative.

Le but de l’atelier est d’accompagner les participant·es dans la compréhension des instances de pouvoirs et d’identifier les moyens d’enrayer la mécanique sexiste.

La fresque se déroule en 3 temps forts : 

  • Comprendre la mécanique : manipulation de 5 lots de cartes-notions, supports à l’échange et au débat, dont le groupe doit constituer collectivement un processus logique, permettant aux participants et participantes de se familiariser avec les notions abordées dans les cartes à découvrir.
  • Accueillir ses émotions : Parler de ses expériences, libérer la parole, favoriser l’écoute active et empathique.
  • Se mettre en action : travailler la rhétorique anti-sexiste + faire de l’idéation par thématiques, proposer des leviers d’action individuels et collectifs permettant une organisation sans sexisme.

Entre 8 et 16 personnes peuvent participer à l’atelier, avec possibilité de déployer la Fresque à large échelle au sein d’une organisation.


Quels sont les objectifs concrets de cet atelier ? Qu’est-ce qu’on en retire en tant que participant.e ?

L’objectif est d’amener chaque participant·e à prendre conscience des mécanismes invisibles du sexisme, de ses manifestations et de ses impacts sur les individus et l’organisation. Chaque participant·e repart avec une meilleure compréhension des leviers de changement à mettre en place dans son propre environnement de travail, pour créer une culture plus égalitaire. Il s’agit aussi d’une prise de conscience individuelle et collective des comportements à adopter au quotidien pour éviter la reproduction de stéréotypes et de violences et surtout gagner en pouvoir d’agir pour enrayer la mécanique sexiste, notamment dans les organisations.

Au-delà de la compréhension des mécanismes à l’œuvre, c’est aussi un moment précieux pour expérimenter des espaces de dialogues ouverts et sécurisés par la présence d’une animatrice. Les participant·es sont souvent surpris de la profondeur des échanges au sein de ces ateliers.


As-tu des exemples d’entreprises où la Fresque du Sexisme a fait bouger les lignes de façon significative ?

La fresque du sexisme fait évidemment bouger les lignes à la hauteur de ce que l’on peut attendre d’un atelier de sensibilisation d’une demie journée. Il crée des déclics, il accompagne à la compréhension des enjeux du sexisme dans le monde du travail et dans la société et surtout il recrée de l’unité dans les équipes sur ces sujets qui aujourd’hui peuvent au contraire polariser. C’est d’ailleurs à mon sens un besoin urgent auquel il faut répondre : recréer du commun, embarquer les hommes sur ces sujets !

Convaincues de son efficacité, plusieurs entreprises ont aujourd’hui décidé de le déployer à grande échelle. Je pense notamment à Sixense Engineering qui a animé plus de 40 fresques en 4 mois ou à CapGemini Invent qui a décidé de former 20 facilitateur·rices en interne pour son déploiement en autonomie.


Quels sont les freins que tu rencontres lorsque tu proposes ce type d’atelier aux dirigeant.e.s ? Comment les dépasser ?

Il y a deux types de freins réels ou fantasmés je dirais.

Il y a les entreprises qui ont envie de s’engager, conscientes des problématiques en leur sein mais perdues dans les offres d’ateliers ou d’accompagnement. À celles çi, je recommande vraiment de prendre le temps d’analyser leurs pratiques RH, les données déjà à leurs dispositions et d’identifier leur besoin. Je ne veux pas vendre un atelier pour vendre un atelier. Il est parfois urgent d’attendre pour prendre le temps de sonder les besoins des collaborateurs par exemple.

Ensuite, il y a parfois un enjeu de budget. Je comprends évidemment le principe de réalité budgétaire, mais il me semble important de rappeler ici que les risques organisationnels, réputationnels et financiers à ne pas adresser les sujets de sexisme et de violences sont colossaux. Pour ne citer qu’un chiffre, selon une étude Ibet de 2024, on estime à 14 840€ le coût du mal-être au travail par an et par salarié·es en France. Il vaut mieux faire peu, pas à pas, que rien du tout. Là encore il s’agit juste de prioriser là plupart du temps.

Enfin, certaines entreprises pensent que leurs organisations n’est pas concernées par ces sujets. Or, je ne connais malheureusement aucune organisation non concernées par ces sujets sans avoir mis en place une politique DEI engagée. À celles çi, je conseille vivement la consultation des collaborateurs et collaboratrices. Les remontées terrain risquent d’être étonnantes.


Quels autres services/ateliers proposes-tu ?

J’accompagne les organisations à mettre en place des politiques DEI efficaces à la hauteur des moyens qui sont les leurs, et les focus qu’elles souhaitent entreprendre pas à pas.  

  • CONSEIL : Savoir par ou commencer et ou aller dans les méandres DEI en faisant un diagnostic DEI (Analyse des processus RH, des données RH, de la perception des collaborateur·rices,) et du conseil stratégique et recommandations de plan d’actions. 
  • FORMATION & ANIMATION : Créer et ouvrir des espaces de dialogue authentiques et apaisés, où il est possible de comprendre les enjeux et d’embarquer tous les collaborateur·rices dans les objectifs communs avec des conférences inspirationnelles ou des ateliers ludo-pédagogiques en intelligence collective tels que les fresques de la Diversité, du Sexisme, ou de L’équité, le jeu des 1000 pas, ou des ateliers sur mesure sur les VSS (violences sexistes et sexuelles). 
  • INGÉNIERIE PÉDAGOGIQUE : Créer du contenu pédagogique pour déployer ou mettre en avant les initiatives internes avec la conception de modules de formation elearning sur les fondamentaux de la D&I ou de contenus audio favorisant la communication interne. 

Concernant le public étudiant·es ou scolaires, je travaille surtout sur la prévention des violences, et l’éducation à la vie affective et sexuelle. Sur ce sujet d’ailleurs, je recommande souvent aux entreprises de l’intégrer dans leur politique d’accompagnement à la parentalité. Je propose des formations et ateliers pour aider les parents à comprendre l’importance et les bases de l’éducation à la vie affective et sexuelle, et comment protéger les enfants des violences. Les salariés sont particulièrement reconnaissant à leurs entreprises de leur donner cette opportunité de formation. 


Certains pourraient penser que ce type de formation est « symbolique ». Que leur réponds-tu ?

Vous parliez de faire bouger les lignes juste auparavant. Ne nous leurrons pas, la fresque du sexisme est un formidable outil en soi mais ce n’est pas un atelier de 3H30 qui permettra de faire bouger les lignes de façon durable. Si vous croisez un consultant qui vous vend ce résultat fuyez-le ! 

Est-ce que pour autant les effets sont symboliques, je ne crois pas. La diversité ne se décrète pas mais se construit petit à petit par des actions régulières et constantes dans le temps et l’investissement des instances dirigeantes de l’organisation. Ce type d’atelier est un vrai bon point de départ pour engager ses collaborateur·rices, et transformer les mentalités et les pratiques au sein de l’entreprise. 

Les changements durables viennent des prises de conscience collectives et de l’engagement de chaque individu dans des actions concrètes. Soutenu par la politique RH, la fresque permet cela, d’autant plus quand on la déploie dans l’entreprise en formant des collaborateurs ou collaboratrices à l’animer en autonomie.


Comment t’assures-tu que l’impact de la Fresque du Sexisme perdure dans le temps, au-delà de l’atelier ?

Des ressources sont bien sûr envoyées post-atelier pour approfondir certains sujets abordés car il est fréquent que les participants et participantes souhaitent aller plus loin sur certaines notions que le temps court de l’atelier ne nous permet pas d’aborder. Nous envoyons également un questionnaire d’évaluation qui permet à chacun de faire un retour d’expérience et d’évaluer les besoins du groupe. Par la suite, seules les équipes décisionnaires peuvent décider ou non d’aller plus loin en proposant des formations supplémentaires ou des programmes plus complets. Encore une fois, il est nécessaire d’établir un plan d’actions complet pour avancer sur ces sujets, un changement de culture d’entreprise ne peut reposer seulement sur un atelier de la fresque du sexisme.


En quoi la prévention des violences et la promotion de l’égalité sont-elles des leviers de performance pour l’entreprise ?

Subir des violences sexistes et sexuelles dans le cadre de son activité professionnelle va naturellement avoir un impact sur son travail pouvant se manifester par des absences répétées, des retards, des arrêts de travail, une baisse de la concentration et de la qualité du travail. Cela a également un énorme impact sur la collaboration rendue difficile voire impossible.

Le sexisme au sein des structures a une réelle incidence sur les individus le subissant : pour 95% des femmes et 90% des hommes, celui-ci entraîne une baisse de confiance en soi, et respectivement 94% et 90% une déstabilisation du travail de la personne concernée, selon le baromètre 2021 de l’Association Française des Managers de la Diversité (AFMD).

La prévention des violences et la promotion de l’égalité favorisent donc un environnement de travail sain, inclusif et respectueux, où chaque employé·e se sent valorisé·e, en sécurité et donc en capacité de déployer son plein potentiel.

Cela contribue directement à la productivité, à la rétention des talents et à la réduction de l’absentéisme. De plus, les entreprises qui adoptent des pratiques inclusives sont perçues positivement par leurs clients, partenaires et le grand public, ce qui booste leur réputation et leur compétitivité.


Pour finir sur une note inspirante : quel est ton « moment déclic » le plus marquant lors d’un atelier, celui qui te donne envie de continuer à faire ce métier chaque jour ?

En ce moment, la montée de la polarisation sur ces sujets me fait particulièrement peur, parce qu’elle nourrit les conflits. Dernièrement un retour d’un participant m’a fait beaucoup de bien à entendre : ”Je trouve que ce n’est pas facile de parler de ces sujets en tant qu’homme, souvent je me sens attaqué. Aujourd’hui pendant l’atelier je me suis senti inclu dans la réflexion, ce n’était pas les femmes contre les hommes, j’ai compris que je n’étais pas coupable du sexisme dans la société mais responsable à mon échelle. Cela me donne envie de plus m’engager et de creuser un peu plus sur ces sujets.”

Et en toute honnêteté, même si les moments de résistances chez certains ou certaines peuvent être très énergivores pour la formatrice que je suis, ils sont parfois nécessaires. Dans les ateliers, je ne suis pas là pour convaincre les participant·es mais bien pour les accompagner à cheminer ensemble, et sur ces sujets, l’inconfort fait partie du cheminement. Il faut donc l’accepter, c’est la première étape du changement.

Merci Quitterie pour cet échange inspirant. Tes éclairages montrent à quel point la Fresque du Sexisme peut être un levier puissant pour transformer les cultures d’entreprise🙏 et chez Enoa nous ne pouvons que vous conseiller de le mettre en pratique !

 

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